Société du spectacle مجتمع الاستعراض

  • Dis, mon frère, c’est vrai ce qu’ils racontent ?
  • Quoi donc ?
  • Qu’ailleurs, les sociétés sont devenues spectacles ?
  • Je les ai vues! Ils marchent têtes baissées, ils ne se disent plus bonjour, ils parlent et rient seuls, leurs visages sont inexpressifs, leurs émotions sont des émojis, leurs yeux sont vides et semblent regarder quelque chose dans leurs mains, un objet lumineux.
  • Ils sont devenus fous !
  • Ils ne le sont pas, ils prétendent juste être hyper-connectés. Drôle de nom pour des gens aussi déconnectés du monde réel.
  • Que Dieu nous en préserve !
  • Oh ça arrivera chez nous. Tu sais, le spectacle est tellement divertissant qu’on succombera à notre tour. Et la lumière de son objet lumineux, finira par nous aveugler, tous !

عرس الذيب

Âne dormant
C’est un âne qui dort
Enfants, regardez le dormir
Ne le réveillez pas
Ne lui faite pas de blagues
Quand il ne dort pas, il est très souvent malheureux.
Il ne mange pas tous les jours.
On oublie de lui donner à boire.
Et puis on tape dessus.
Regardez-le
Il est plus beau que les statues qu’on vous dit
d’admirer et qui vous ennuient.
Il est vivant, il respire, confortablement installé
dans son rêve.
Les grandes personnes disent que la poule rêve de
grain et l’âne d’avoine.
Les grandes personnes disent ça pour dire quelque
chose, elles feraient mieux de s’occuper de leurs rêves à
elles de leurs petits cauchemars personnels.
Sur l’herbe à côté de sa tête, il y a deux plumes. S’il
les a vues avant de s’endormir il rêve peut-être qu’il est
oiseau et qu’il vole.
Ou peut-être il rêve d’autre chose.
Par exemple qu’il est à l’école des garçons, caché
dans l’armoire aux cartons à dessin.
Il y a un petit garçon qui ne sait pas faire son problème.
Alors le maître lui dit :
Vous êtes un âne, Nicolas !
C’est désastreux pour Nicolas.
Il va pleurer.
Mais l’âne sort de sa cachette
Le maître ne le voit pas.
Et l’âne fait le problème du petit garçon.
Le petit garçon va porter le problème au maître, et le maître dit :
C’est très bien, Nicolas !
Alors l’âne et Nicolas rient tout doucement aux
éclats, mais le maître ne les entend pas.
Et si l’âne ne rêve pas ça
c’est qu’il rêve autre chose.
Tout ce qu’on peut savoir, c’est qu’il rêve.
Tout le monde rêve.

Jacques Prévert

Hors-saison

Le soleil est encore chaud mais la lumière a changé, l’air s’est rafraichi, les lieux se vident peu à peu…la saison est
finie…L’eau des piscines s’immobilise, la terre des terrains de tennis est lisse, le sable n’est marqué que par
l’empreinte de quelques promeneurs…Dans les hôtels, un homme plie et range les transats, un autre balaie les
premières feuilles….Au loin un troisième ratisse une dernière fois la terre rouge accumulée sur les lignes
blanches…Le temps semble s’être arrêté. Nos paysages de l’été agités et sonores sont entrés dans une autre
phase, celle des souvenirs, de la nostalgie estivale, du silence, juste brisé par les bruits furtifs des personnes qui
entretiennent les lieux.Sur la plage, les irréductibles tiennent le sable, profitant des derniers jours, s’abreuvant du
soleil une dernière fois, laissant leur corps caressés par la chaleur automnale, les discussions animées se sont
tues, tout conduit vers la contemplation de l’étendue bleue.
Les toiles de Mira Agdal illustrent cette hors saison. L’artiste présente, lors de sa nouvelle exposition à la galerie
A.Gorgi, une quinzaine d’oeuvres qui nous emmènent dans cette période un peu hors du temps. Travaillant avant
tout la composition à partir de ses photographies, elle pose l’architecture, la simplifie au maximum pour en
garder les lignes directrices. Les grands aplats de couleur bleu gris et ocre mettent en valeur les différents
espaces. Il n’y aura pas d’autres couleurs ! La couleur l’effraie. Mais la neutralité est aussi difficile à faire exister.
Un personnage, deux, plusieurs, dos tournés, se glissent dans cet ensemble, figures aussi énigmatiques que cette
architecture anonyme. Les personnes ne nous regardent pas, ils sont isolés dans leur monde, ne semblent pas
avoir de contact entre eux. Seul avec les autres ?
Dans ce qu’entreprend Mira, le regard est là pour capter à travers ses photographies puis ses toiles, des instants
que l’on ne voit pas ou que l’on préfère ne pas voir. Etrangère parmi les étrangers, dans ce pays qui l’accueille,
elle est attirée parces hôtels vides et ces plages désertées. Peu à peu, derrière ses toiles où la touche de l’artiste
est à peine perceptible, c’est une autre hors saison qui se dessine, celle des architectures abandonnées par le
tourisme de masse que l’on continue à entretenir, celle des plages délaissées par les baigneurs, celle de paysages
qui ressemblent à des théâtres…mais pourtant, jamais très loin, une silhouette apparait..

Elsa Despiney

Numen

Déterminé à aller à l’essentiel, de période en période, Ahmed Zelfani développe l’expressivité de sa peinture et sa singularité d’artiste.

À vue d’œil, son art se dépouille et sa simplicité toujours plus grande, toujours plus affirmée, le rend somptueux !

2ème cycle de « Le Noir est Blanc », l’actuelle exposition de Si Ahmed est une variation colorée de la nouvelle démarche d’un artiste qui sait assurément ce qu’il veut : suivre son instinct, son intuition première avec une entière bonne foi et le souci sage et sincère de se connaître et d’arpenter sa voie.

Et osons à notre tour affirmer une intuition : A l’instar de Matisse, Zelfani est en quête de lumière !  Oui comme disait André Gide à propos du maitre du fauvisme, Zelfani scrute la lumière, rien que la lumière.

Ses toiles verticales aux silhouettes davantage longilignes, comme une filiation secrète des sculptures de Giacometti, vous happent d’un coup : couleurs vives sans la moindre nuance, surface surprenante de rouge vif ou de jaune, étendues audacieuses en aplats qui font surgir d’un coup une luminosité quasiment sidérante car née de cet accord surprenant de surfaces intensément et savamment colorées.   

La lumière comme expression vibrante d’une chaleur intérieure singulière née de l’exercice de la vie et de l’art. Rien que pour cela ces toiles sont l’œuvre d’un plasticien en pleine possession de son art.   

Faudrait-il ajouter à cela une maitrise totale de la composition et une inventivité discrète mais affirmée ? Car à voir de plus près ces silhouettes franchement détachées de leurs environnements, ces formes délibérément séparées de leurs fonds, le scrutateur s’aperçoit que moult contours sont engendrés par sa seule perception et qu’en diverses occurrences, les formes débordent sur le fond et créent des plages nouvelles : une spatialité autre d’une expressivité inédite.

C’est dire que dans une discrétion totale, une délicatesse frugale, Ahmed Zelfani innove, réinvente et s’efface. Emouvante posture de modestie qui secoue l’air du temps, pour lui accorder, un tant soit peu, la mystique qui lui manque.

Sonia Chamkhi

Etat des lieux

« Etat des lieux » nous rappelle combien l’art interroge le réel et prend la fonction d’un miroir social.

Peintures, photographies, sculptures, installations…autant d univers individuels et sensibles dans une liberté commune de dire et traduire la société.

Que ces œuvres transportent  l’imaginaire, provoquent plaisir,  interrogations, dérangent, bouleversent les repères, elles ne manqueront pas de nous rappeler le rôle social de l’art, et de suciter l’intérêt et les échanges.

Parterre(s)

Qu’est-ce qu’une œuvre d’art ?

Questionner la notion d’œuvre d’art, un siècle après Duchamp, en Tunisie.

serpillère: morceau de toile grossière et résistante, de forme plus ou moins régulière et d’environ 50 cm de côté, servant à laver les sols en Tunisie: objet quotidien ignoré, trivial, sale, sert aussi à désigner les personnes qu’on veut rabaisser.

Peut-on ramasser une serpillère, passer beaucoup de temps à la broder à la main l’exposer dans une galerie ?

Aïcha Filali

Isthumus

« La peinture de Walid Ardhaoui occupe dès à présent une place à part dans le paysage pictural tunisien et elle augure d’un nouveau courant qui se profile à l’horizon. Le jeune Walid plein de talent et de courage transgresse et bouscule une certaine idée de la picturalité qui a pris une solide racine en Tunisie. La beauté d’une œuvre est insuffisante pour ce peintre qui nous appelle à aller au fond de son travail et nous poser mille et une questions devant ses toiles. En effet on ne peut rester neutre face aux personnages qui hantent les œuvres du peintre qui, semble-t-il, nous invitent à les suivre dans leurs cahiers d’écoliers, derrière les barreaux, dans leurs rêves d’enfants ou dans les vagues immenses de la méditerranée.

Il est tout à fait naturel d’emprunter ce chemin abrupt pour un jeune artiste tunisien qui a une profonde conscience de la situation de son pays et en particulier de sa jeunesse. Bien que se servant d’une palette éclatante de lumière, le peintre nous invite à partager ses tourments et une certaine anxiété grâce  à des éléments et des objets  hétéroclites de tous les jours qui jonchent ses toiles et que Walid par la magie du rendu leur confère un rôle principal puisqu’ils véhiculent un bloc de questions lancinantes qu’il cherche à communiquer à ceux qui regardent ses œuvres.

Le peintre saisit parfaitement son art et sachant que ce dernier n’est nullement innocent, il se donne à cœur joie en y incluant une dualité et un jeu subtil entre la beauté et la laideur pour mieux attirer notre attention sur la cruauté de la vie  et de nous dire qu’un monde meilleur est toujours possible.

Walid  nous propose à travers ses créations sa façon de voir le monde et comme Alice nous emmène dans un merveilleux voyage pictural. »

Sahbene Inoubli

Mohamed, Salem, Omrane…

“Ce que nous voyons n’est plus tout à fait la persona et le masque de ce qui fait sa figure, et non encore le quidam sans nom au profil fuyant. Il y aurait là, un ténu entre-deux qui demeure où l’oeil perçoit un homme, où l’oeil devine l’Homme.
Les corps démunis, les profils dénués, les auras dépouillées, ces portraits de prostrés, par les pesanteurs d’un réel, lévitent, dans un inachèvement, dans un quelque part où l’instant de l’abandon d’une lumière d’âme est presque entrevu par l’oeil du photographe, élucidant pour nos regards le corps désormais lourd du poids de l’absence d’une âme, d’un homme, d’un Homme (…).
Un l’oeil complice de celui de l’artiste serait finalement saisi d’entrevoir dans ce que nous donne à élucider ses figures par la phénoménalité d’un obscur, la poésie de l’acte photographique de Douraïd Souissi ; un acte nullement anecdotique et éminemment synecdotique…”

Mohamed-Ali Berhouma
Extrait de « Elucider l’obscure ou les portraits de prostrés :
Autour d’une série photographique de Douraïd Souissi »

Karopolis

« Karopolis : est-ce le nom d’une nouvelle capitale impériale, comme le fut Carlopolis, du temps de Charles-le-Chauve, petit-fils de Charlemagne, en l’an 876 ? Ou celui d’une ville du futur, dessinée par un esprit visionnaire ? Ou bien le nom qu’on peut donner à la cité dans laquelle nous vivons ?
Ces images ont été faites à Tunis. En 2016. Car Karopolis, bien qu’elle soit faite de carreaux de faïence aux motifs anciens, est une ville contemporaine. Et si l’on trouve dans les images que nous en propose Nadia Jelassi le reflet des manuscrits enluminés de Kalila wa Dimna, des arabesques et des calligraphies, elles se veulent l’expression d’une situation politique qui est la nôtre.
À Karopolis, les hommes ne sont pas seuls. Il y a des fleurs, des animaux. Des oiseaux, des insectes, des chacals… Mais les fleurs ne sont que des motifs de faïences. Les insectes sont en plastique, et se posent souvent sur les hommes comme sur des cadavres. Et les chacals sont ceux de la fable, qui figurent des hommes.
Des hommes figés. Produits en série. Contreplaqués. Avec le fil du bois qui transparaît parfois. Ils s’avancent. Se mettent en avant, en relief. Pour faire bonne figure. Platement. C’est qu’ils sont pris dans des formes contraignantes : cadres, carrés, étoiles, ronds. Si le carré domine, chacune de ces figures leur donnent leur caractère propre et leur nom : Kétoiles, Karonds, Karcs, Kdebouts, Kartets, Kachés. »

Extrait du texte d’Alain Messaoudi

En verre et contre tout

Je n’aime pas la musique.
De toutes les manières de peindre, celle qui a ma préférence est la peinture sous verre. Un genre, désormais quasiment disparu, qui s’enracine en Tunisie dans une tradition qui m’est chère et me permet d’évoquer les temps perdus. Non pas les temps passés, parce qu’ils ne sont jamais passés, mais les temps perdus parce qu’on ne sait jamais où ils sont. J’emploie le pluriel à temps parce que ma nostalgie s’étale à tous les temps, les miens comme ceux qui ne m’appartiennent pas. Si je ne risquais pas d’être accusé de jouer du paradoxe, j’avouerais avoir aussi la nostalgie des temps à venir. Ceux-là aussi, hélas, me sont perdus…
C’est ainsi que je m’explique l’attraction qu’exercent sur moi les figures célèbres de la chanson tunisienne du siècle dernier, non pas la musique du mélomane, ni celle qu’on écoute attentivement mais celle qu’on n’écoute pas, qui flotte partout dans l’air, la musique des fêtes et des mariages, celle de la télévision et des radios allumées en permanence dans les maisons et les boutiques, celle qui devient un bruit de fond, une ambiance dans laquelle on baigne et qui nous accompagne toute la vie. Ce qui se grave le mieux dans la mémoire nostalgique, ce sont les ambiances. Et qu’est-ce qui marque le mieux une ambiance sinon la musique ?

Sadri Khiari

Ruthmos

Un linguiste célèbre, Emile Benveniste, avait écrit un article sur l’origine du terme rythme à partir de la langue grecque. Dans son étude, il affirme que le mot grec « ruthmos » n’avait pas d’abord la signification actuelle de rythme au sens de répétition avec un temps déterminé, mais désignait plus la forme ou la figure dans une sens déterminé : « Les citations suffisent amplement à établir : 1° que ruthmos ne signifie jamais « rythme » depuis l’origine jusqu’à la période attique ; 2° qu’il n’est jamais appliqué au mouvement régulier des flots ; 3° que le sens constant est « forme distinctive figure proportionnée ; disposition », dans les conditions d’emploi d’ailleurs les plus variées. De même les dérivés ou les composés, nominaux ou verbaux, de ruthmos ne se réfèrent jamais qu’à la notion de « forme ». »1Cependant, à la différence d’autres termes grecs qui disent la figure ou la forme (comme schéma, morphè, eidos…), ruthmos « d’après les contextes où il est donné, désigne la forme dans l’instant qu’elle est assumée par ce qui est mouvant, mobile, fluide, la forme de ce qui n’a pas consistance organique : il convient au pattern d’un élément fluide, à une lettre arbitrairement modelée, à un péplos qu’on arrange à son gré, à la disposition particulière du caractère ou de l’humeur. C’est la forme improvisée, momentanée, modifiable. […] On peut alors comprendre que ruthmos, signifiant littéralement « manière particulière de fluer », ait été le terme le plus propre à décrire des « dispositions » ou des « configurations » sans fixité ni nécessité naturelle et résultant d’un arrangement toujours sujet à changer. »

Extrait du texte d’Arafat Sadallah

3ajel / Le temps réel

Il peut paraître curieux, du moins pour un regard non éclairé par l’histoire récente de notre pays de solliciter un groupe d’artistes vivant et travaillant en Tunisie et de les inviter à travailler autour d’une thématique qui semble à première vue défraîchie, voire dépassée : Réminiscence(S).
Notre choix – disons-le clairement- n’est soutenu par aucun désir passéiste ou élan nostalgique. C’est ici et maintenant que nous nous positionnons, c’est ici et maintenant que nous nous situons pour mieux nous saisir de notre histoire et ses particularités, pour nous réconcilier avec elle, pour puiser dans ses matériaux et forger notre présent et bien asseoir notre avenir. C’est que nous avons été longtemps coupés de nos multiples histoires et que «myopisé », notre oeil est devenu trop paresseux pour distinguer les multiples strates et différencier toutes les nuances. C’est que trop
fluctuants, nos repères n’ont cessé de basculer au gré du bon vouloir des uns et des caprices des autres. Jamais les tunisiens n’ont été aussi demandeurs d’histoires, jamais les tunisiens n’ont exprimé autant de soif de mémoire, …, jamais les tunisiens n’ont été autant fiers de se dire tunisiens et de le montrer par des photographies les représentant debout bien souriant devant des stèles puniques, des mosaïques romaines , dans un borj ou sur les remparts d’une médina…
Notre choix est motivé essentiellement par un principe devenu universel aujourd’hui, un principe fondant une partie des connaissances et des perceptions des temps présents dans les tissus entrelacés de divers passés riches de complémentarité et d’antagonisme. Notre choix se veut avant tout une interrogation artistique appelant l’oeil du présent à revoir, s’approprier, détourner une multitude d’images et de situations produites sur cette terre pluri-
civilisationnelle. Il s’agit, chaque artiste à sa façon et selon sa sensibilité de se saisir de ce matériel historique et iconographique, de ses sédiments, de les remonter à la surface, de les réfléchir, de capter leurs points forts ou leurs faiblesses et de les transformer en faisant appel aux techniques et aux savoir-faire aussi bien anciens que nouveaux.
Réminiscence (S). Le choix du pluriel n’est évidemment pas innocent… Le S du pluriel est une porte ouverte sur plusieurs possibles qui peuvent se juxtaposer ou se superposer. Le S du pluriel peut convoquer selon les cas le roman personnel ou familial de chaque artiste et / ou le récit de diverses histoires et péripéties.
Le « JE » peut ainsi se joindre et se combiner au « NOUS » ; l’individuel pouvant par la même se greffer au collectif ou inversement. Qu’elle soit artiste ou pas, l’enfance d’une personne, sa jeunesse pouvant se tramer et s’ourdir avec celle d’une nation…
Réminiscence(S) peut être considéré dans ce sens comme un retour CONSCIENT, un retour rendu nécessaire par les exigences du présent à un passé pas toujours connu pour le sortir en premier lieu de la pénombre mais surtout pour y puiser une lumière pour le présent et de l’énergie pour l’avenir. Cet avenir déjà inscrit dans un passé et dans un présent fortement marqué d’empreintes culturelles d’ici et d’ailleurs ne peut être qu’ouvert aux forces vives du monde.
L’art n’a-t-il pas toujours eu besoin de terreau et de divers cieux pour s’épanouir !

Aïcha Gorgi

#Found&Lost

« Manger, boire, se laver, dormir, s’habiller, se raser, se brosser les dents, …, s’asseoir, se lever, se rasseoir, …, autant de gestes ponctuant notre quotidien et sollicitant la mécanique et la cinétique de nos corps. Désignés de communs, qualifiés de banals, de répétitifs, de monotones, de routiniers, ces actes triviaux rythmant nos jours et nos nuits, ces flux d’expériences physiques ne peuvent pas faire l’objet d’une liste aussi vertigineuse soit elle. Les circonscrire, les répertorier, les classer serait une entreprise non seulement ouverte aux doutes et à l’incertitude mais
surtout à l’exclusion.
Rien ne nous empêche en effet, de chanter en nous lavant, comme rien ne nous interdit de manger en discutant, de boire en téléphonant, de consulter notre courrier en marchant, de prendre une photographie ou de dessiner sur une tablette tout en étant confortablement assis sur une chaise ou sur un siège d’avion… Sous cet angle, le listage des gestes du quotidien s’avère ardu car convoquant des habitudes corporelles
stéréotypées, régies souvent par des traditions culturellement différenciées. Ce travail de listage exigerait aussi une mise à jour régulière qui intègrerait les nouveaux gestes générés par l’usage de nouveaux objets à peine imaginables il y a quelques années. S’invitant régulièrement dans nos vies et imposant de fait leur mode d’emplois, les objets / fruit de l’essor technologique réinventent non seulement nos manières d’être et de connaître mais peut être et surtout notre rapport au monde. Nos corps sont désormais reliés physiquement / mentalement et virtuellement à des claviers mais surtout à divers types d’écrans ouvrant / se fermant sur plusieurs mondes. Nos gestes évoluent, se meuvent en conséquence.
Enracinés dans un champ culturel ou nouvellement acquis, les gestes du quotidien n’excluent donc pas le partage ni la pratique des arts. Işıl Kurmuş nous invite à une immersion dans cet univers indéterminé, sans cesse mouvant du quotidien. L’artiste exposant s’est saisie de cette banalité apparente pour la transfigurer au travers d’un ensemble de propositions plastiques bidimensionnelles alliant l’imprimé et le dessiné à l’écran de son ordinateur et aux infinités de ses fenêtres. »

Extrait du texte de Nadia Jelassi

Al Madina

« La ville a toujours porté ou supporté les grands rêves des hautes missions civilisatrices. Les utopies l’ont bien montré en édifiant des cités idéales pour des modèles de sociétés où l’homme pourra prétendre à son humanité, à son
bonheur. Mais ces rêves urbains ne demeurèrent qu’utopies, que non-lieux. À mille lieux de là, notre univers citadin, lui, est bien réel.
Et on l’oublie souvent, on ne le pense pas. La ville, ses hauts murs et ses immeubles nous surplombent. La ville, ses interminables prolongements et ses tentaculaires ramifications nous dépassent. Nous y sommes engloutis.
Notre posture n’est pas celle qui permette aisément de penser la ville qui nous enceint. Il faut croire que c’est plutôt la ville qui nous pense. Cela aussi, on l’oublie : la cité est une incorporation bâtie, une agglomération des ordres et des
impératifs d’une politique, d’un social, d’un économique, d’un idéologique… bref, de systèmes de contrôles, de dominations, de conditionnements.
Par chance, quelques rares êtres échappent à l’aveuglement que nous imposent les toujours plus oppressantes cloisons. Ils habitent la ville et leur conscience libre, leurs lucides intuitions leur ouvrent d’autres bifurcations que les voies et les tracés que nous impose la cité. Ils voient et suscitent d’autres imaginaires que ceux que nous administrent les réclames et les enseignes bien installées dans les couloirs de nos quotidiens. Ces êtres savent encore échapper subtilement aux ordres de la ville qui nous dressent, nous surveillent, nous encadrent, car justement, ils voient. Intissar Belaïd est de ces êtres-là. Elle voit et plus encore, elle révèle ses visions avec une subtile force pour laisser surgir une vérité que l’on ne perçoit plus : le réel. »

Extrait du texte de Mohamed Ali Berhouma

« The Unsecret Life of Samantha.C »

Good morning Samantha,
My name is Hela Lamine.
I’ve been working for some time on the social networks, which has led me today to send you this message. The thing is, you don’t know me, while I do know you through the publications you’ve shared on the Facebook network.
I would like to assure you that this is not a sick joke, but a well-considered artistic work, the topic of which centers on the free flow of personal data on the net, and on the exclusive example of your profile.
I would like you to know that my choice of your profile was very random. I have been working on it over the past months for the project of my personal exhibition, the opening of which is scheduled for November 15th, 2015, at the A.Gorgi Gallery, in Sidi Bou Said Village, in Tunisi (Tunisia) and to which I invite you.
I ensure you that your anonymity will be maintained, even after the exhibition.
I will explain to you further everything in a Skype conference. Does an appointment on Saturday October 31th at 10am (****local time) suit you?
I really wish we could talk on Saturday.
Looking forward to hearing from you.
Kind Regards,
Hela Lamine

Réminiscences

Yemen Berhouma, Yesmine Ben Lhelil, Omar Bey, Haythem Zakaria, Farah Khelil, Sadri Khiari, Anna Latreille Ladoux, Héla Lamine, Oussema Troudi, Feryel Lakhdar, Nadia Jelassi, Imed Jemaïel, Nidhal Chamekh and Belhassen Chtioui.

Invasion

Sur la toile de l’artiste, reconnue très tôt, dès les années 90, à la fin de ses études à l’Ecole des Beaux-Arts de Marseille, comme une valeur sûre de l’art contemporain tunisien, se déploie un cortège de personnages extravagants, fantasques et fantastiques, qui se partagent dans un conflit perpétuel les forces du bien et du mal. Inspirés du monde du cirque, du dessin animé, du jeu, du conte et du cinéma, ils incarnent des rois fous, des dames de cœur, des princesses africaines toujours fertiles, des funambules en équilibre précaire, des trapézistes montant vers le ciel…Mais aussi des animaux inquiétants, hybrides aux formes inédites et mutantes.

Ana/chroniques

« Scènes de genre. Tunisie. Détournement. Photomontage. A la manière de. Atmosphère. Archétype. Citation. Ambiguïtés spatiales. Méprise graphique. Inclusion/exclusion. Conflit d’esthétiques. Mélanges. Colmatage. Superposition. Chevauchement. Miniature »

Aïcha Filali

Fatchata

« Façades » est une déclinaison d’images augmentées de reliefs représentant une multitude de vues photographiées de face. L’image est ainsi composée par juxtaposition horizontale et verticale de plusieurs autres. Les principaux acteurs ici sont les murs extérieurs des bâtiments urbains construits ou en voie de construction ( maisons, boutiques, …) avec ce qu’ils accueillent comme portes, fenêtres, ouvertures, éléments signalétiques … , vitrines, compteurs d’eau,
d’électricité, graffitis. Les plus importants protagonistes ici sont les murs de Tunis, Bizerte, Sousse, Gafsa… réunis selon les cas, en une nouvelle façade n’existant nulle part mais paraissant bien d’ici. Les acteurs secondaires, mais non point mineurs, sont les passants, les travailleurs, les vendeurs …. , les animaux.
Les images de « Façades » sont augmentées ici et là de quelques reliefs incluant des images et des matériaux. Une pancarte, une porte, un balcon … peuvent t être ainsi relevés de quelques millimètres par rapport au plan de l’image. Du bois recouvert d’enduit, du fil de fer, … s’apposent sur l’image doublant les poutres des chantiers soulignant de la sorte ce désir d’aller toujours en avant, de s’agrandir, de croitre et de multiplier les espaces, une poutre rivalisant avec
l’autre. La seule loi qui semble régir ces débordements horizontaux et verticaux, cette avancée de la brique et du béton, cet afflux de la barre de fer est l’occupation maximale de l’espace et la débrouillardise de l’instant.

Dispars

« Les choses se détournent de nous. Qu’on les aborde en tant qu’objets pour un esprit scientifique, en tant qu’outils disponibles, ou en tant que marchandises (par leurs valeurs d’usage ou d’échange), les choses se dérobent en tant que choses, laissant place à un calcul acharné et continu qui veut tout maitriser. Et dans le retrait des choses, le monde disparait. Car ce sont les choses qui rassemblent le monde où l’on peut exister. Dans leur inutilité première les choses ne symbolisent rien, ne renvoient à rien, ne sont l’allégorie d’aucune autre signification ou valeur (morale ou marchande). Elles sont dans leur simplicité ce qui nous retient en rapport avec le monde. Ainsi notre attitude à leur égard témoigne de la manière dont nous sommes au monde : ou bien nous écoutons leur appel, nous nous étonnons de leur être, et nous respectons notre existence propre dans leur proximité. Ou bien, on les méprise en ne les considérant pas pour elles-mêmes, en les réduisant à des valeurs, et en les privant de toute distance, et ainsi on condamne notre existence à la furie du calcul qui dévaste le monde par sa volonté de domination planétaire. Notre vie quotidienne, notre aliénation dans les rapports de production et de consommation, nous enferment en effet dans cette deuxième option, nous privent de l’abord des choses et de vivre dans le monde.

Cependant, d’une expérimentation artistique, d’un chemin de pensée, d’une décision politique peut éclore parfois un monde où apparaissent et viennent à nous les choses. Un de ces moments est le travail continu et ininterrompu de Nidhal Chamekh. Son écoute assez aiguë et fine, et son « être aux aguets » presque animal le rendent en tant qu’artiste capable de répondre à l’appel des choses. Se situant volontairement dans un espace « entre les choses », il retrouve la distance qui le rend accueillant par sa facture et à travers ses oeuvres à l’arrivée du monde. »

Extrai du texte d’Arafat Sadallah

Circumambulation

Aïcha Snoussi, Ali Tnani, Belhassen Chtioui, Intissar Belaid, Maher Gnaoui, Malek Gnaoui, Meriem, Bouderbala, Moez Akkari, Nidhal Chamekh, Oussema Troudi, Omar Bey, Selim Ben Cheikh, Shoof, Souad Mani, Ymen Berhouma, Farah Khelil, Haythem Matouss, Zakaria Héla, Lamine Ibrahim.

Vingt sur vingt

Vingt sur vingt
Mesuré? Fixé!
Allez allez! Au suivant!
Tour à tour les coupures s’empilent
Coupures de papiers, sang coulé
Écumes tremblantes, liquides agités
À se tailler les paupières en lanières!
Ma chair/tes yeux
Ma main / ta bouche
Coupés/ collés
Tu t’es accroché?!
Suspendus à tes pieds, les chats ronronnent
Et si tu étais de trop dans ce vacarme et ces figures?
S’use, pendue, hâte épiée, les chattes résonnent…
Et la tête et la tête alouette alouette!
(faut que je me repose…faut que je me repose…)

Apoplexie.B

Les dessous des ratures

Pour dépeindre leurs personnages, certains auteurs procèdent par  description de leur physionomie, de leur trait de caractère ou encore par la restitution littéraire de leur dessein ou pensée. Si par jeu ou par recherche du plaisir du contexte, je devais me  prêter à ce genre d’exercice, j’userai en premier lieu non des attributs physiques  de l’individu à décrire mais des objets consumés  par celui-ci. Il est, en effet, quelques  objets qui semblent définitivement scellés au corps d’une personne générant par ce lien unique des gestes voire des substances quasi organiques. Imed Jemaïel n’est pas un personnage de roman mais un ami et complice depuis  presque trente ans maintenant. Si l’on devait déplier  nos souvenirs  scripturaux communs, on pourrait y extraire  des milliers de phrases, des  centaines de feuillets, des millions de mots imprimés mais également et peut être surtout des mots en noir manuscrits, alignés  sur page blanche. Feuilles de papiers prédécoupés en format A4 et stylos à la pointe bien choisie  constituent à mes yeux, du moins avant l’exploration récente d’autres traceurs et supports tels que les stylos à chargeur acrylique  et la toile de coton ou de lin, la première famille d’objets intimes présentifiant au mieux l’artiste et distinguant son approche scripto-plastique. A portée de mains, de transport aisé, ces objets lui permettaient en tout temps  et  tout lieu, urbi et orbi  de faire la jonction entre le décodable,  dérivé de scriptura   et l’illisible, natif du   graphein.  

Extrait de texte de Nadia Jelassi

Obliques

   Si le fil de fer barbelé fait partie, depuis janvier 2011, de notre environnement quotidien, il signale plus qu’il ne soustrait à l’atteinte visuelle et matérielle, les lieux qui focalisent la haine sociale ou politique, quel qu’en soit la raison. Ces fils enroulés ou tendus, hérissés de fines pointes, sont des signaux- repoussoirs, devenus  largement visibles dans l’espace de la cité ; leur présence désormais ostentatoire contrôle les zones de circulation dans les grandes villes et découpe artificiellement l’espace public  en une cartographie policière.

Appareil de dissuasion, le barbelé  n’occulte cependant  pas l’espace de l’interdit mais le met à distance en inscrivant une topographie de la dangerosité.il symbolise dans la proximité visuelle de l’objet inaccessible, la puissance abstraite du répréhensible,  obligeant chaque jour, le corps du passant  au détour et à l’espacement.

 C’est à  cette structure minimaliste de la clôture et à ses manières d’enfiler le vide que   s’accroche le regard de l’artiste Selim Ben Cheikh ; il en saisit la force plastique en l’optimisant dans des figures inédites qui bouleversent  sa symbolique dans l’ambivalence  d’une vision esthétique où se mêlent tension et proximité.  Le fil de fer barbelé devient pour l’artiste un matériau aux potentialités infinies : il l’étire, le rend flexible, en conjugue les figures, en retravaille les ronces et les torsades, variant ainsi  les rapports entre lignes droites, courbes, nouages et  pointes. Cette domestication d’un élément par nature rebelle, repris et saisi photographiquement ou disposé en  installation sous plexis, donne lieu à des images conceptuelles qui  ont la  force esthétique de l’épure ; le procédé artistique  maintient, en effet, la tension sous jacente au matériau tout en la transcendant par  la beauté et la simplicité des formes.

Créer avec le fil de fer barbelé matérialise aussi  pour l’artiste , le  temps d’arrêt propre à  la remise en question actuelle de l’habitus sociopolitique et culturel du pays ; symboliquement, le barbelé  invite  de manière incisive à la vigilance et à la réflexion critique qui permettent de se distancier des conventions :c’est ce  que certaines œuvres  cristallisent, en revisitant de manière peu consensuelle  l’art calligraphique et l’ arabesque. Cette dernière propose un mode alternatif de l’ornemental par  la répétition symétrique de modules  barbelés aux allures d’araignées.

Selim Ben Cheikh a certainement su trouver dans   le traitement artistique du barbelé, saisi dans sa matérialité et sa simplicité, un renouvellement des genres.  Dans sa manière contemporaine de composer avec le présent, il est  arrivé à créer un univers esthétique qui défie la menace par le dépassement  des formes convenues.

                                                                                                                                                RACHIDA TRIKI

Chbabek wa3teb

Procédure de mise à plat de la société tunisienne

1. Collecter des photographies de mariage, posées, de gens ordinaires, anonymes, qui datent de cinq, dix, quinze, voire vingt ans ; certains des personnages sont certainement grands-parents maintenant.

2. « Nettoyer » les photographies anciennes tirées sur papier à l’aide de l’outil informatique.

3. Photographier portes, fenêtres et façades de quartiers moyens, susceptibles d’abriter les couples retenus.

4. Isoler les personnages de leur cadre original, et les placer dans l’univers urbain photographié, en jouant la vraisemblance entre le couple « placé » et la façade choisie.

5. Affubler tous les personnages de toutes les photographies de lunettes opaques, glanées çà et là sur le web, dans un double objectif : préserver l’anonymat des personnes reproduites, et faire un clin d’œil aux publicités diffusées en Arabie saoudite qui généralisent le port de lunettes, afin de contourner l’interdit de représenter la figure humaine : sans les yeux , la figure n’est pas « humaine».

6. Imprimer les photographies ainsi montées, sur tissu, aussi grand que le permet la laize de la machine ; le tissu venant ici évoquer l’univers du trousseau de mariage.

7. Renforcer cet univers du trousseau en matelassant les images en tissu à la manière des couettes, couvre-lits et autres édredons qui ont allégrement supplanté la couverture en laine traditionnelle dans l’univers domestique.

8. Entourer chacune des images en tissu d’un cadre de satin matelassé, couleur pastel, très usité dans l’univers de la literie.

9. Casser ou tordre quelques dizaines d’aiguilles de machine dans la traversée mécanique des pièces.

10. Renforcer le cadre avec différentes sortes de tresses, galons et autres passementeries, toutes les unes plus chargées que les autres.

11. Attraper des fourmillements permanents dans la main à force de longues soirées de couture dans toutes sortes de tissus, souvent impropres aux travaux d’aiguille et difficilement pénétrables.

12. Appliquer sur l’image même des éléments rapportés en trois dimensions, tels que fleurs en tissu, cravates, faux bijoux, là où ils figurent en deux dimensions ; avec parfois en bonus oiseau, colombes, fer à cheval ou queue de poisson afin d’éloigner le mauvais œil.

13. Harceler son entourage immédiat quant au choix des galons, cravates et autres éléments ornementaux.

14. Prendre un très grand plaisir à tout cela, tant dans l’idée, que dans la mise en forme pleine de ressources imprévisibles.

Aïcha Filali

Radès 2012-2013

Postcards from Tunisia

Wassim Ghozlani met la Tunisie dans une boite en bois de frêne et cela nous rappelle nos trésors de fin de vacances, petits coquillages, bois flottés, vieux sous, faux diamants que nous ramassions sur la plage et enfermions dans un plumier en bois ou dans une boite métallique et que nous gardions tout l’hiver en rêvant au prochain été.

La boite de Wassim est celle que l’on emmènerait avec nous en quittant la Tunisie, boite magique et obsédante, pleine d’exvotos et de gris-gris, qui nous incitera tous à revenir encore et encore. Wassim, photographe amoureux de la Tunisie la parcourt  inlassablement et, hors les lieux communs, la hume, la cajole, l’adore et la sublime en photos.

Dans sa boite, il nous offre cinquante « Cartes Postales », instants volés avec affection et talent dans les vingt quatre régions tunisiennes. C’est un bonheur d’avoir en main et sous les yeux la photo de cette barque telle une baleine, tristement échouée sur le rivage d’une mer triste et plate, ou ce restaurant de bord de route, petite cabane en fer rouillée, mais avec un cuisinier en toque et tablier d’un blanc immaculé. C’est une Tunisie au plus près de nos émotions, loin des habituels chromos touristiques sans âme ni identité.

Cette collection d’objets, limitée et signée, symbolise la Tunisie, pays riche de toutes les cultures du bassin méditerranéen, pays de rencontres, de charme et d’amitié.  Avec cette Boite vous deviendrez à votre tour Ulysse et vous retournerez toujours vers ces rivages accueillants.

Leila Souissi

Slash

C’est le corps qui créé la vie. Il précède l’esprit et peut subsister indépendamment de lui. Il développe les sens et accueille la pensée. Les premières images nées dans le ventre d’une caverne, au commencement de l’art, furent celles des corps : ceux des hommes, des bêtes, de la nature et des objets. L’exposition « / » (titre qui peut prendre les différents sens de ce signe : linguistique, informatique ou mathématique), donne à voir de multiples états des corps.
Il n’est plus hybride le corps, ni dégénéré, ni apocalyptique, comme il a été représenté à l’époque postmoderne, il est désormais exilé dans l’inconnu, innomé et inanimé. Le corps est duel chez Ymène Chetouane. La céramique est systématiquement pétrie à partir de deux entités, composant une sorte d’hermaphrodisme d’espèces et réinventant l’ancestrale imagerie thérianthropique. Il est éclaté chez Nidhal Chamekh. Femmes nues tantôt incomplètes et démembrées, tantôt parées d’une excroissance mécanique. Il est substitué par la figure du mouton chez Malek
Gnaoui. L’artiste égrène encore une fois la figure du bovidé en une allégorie de l’homme contemporain : uniformisé, marchandisé et consommé.
Esseulé, exilé dans un territoire encore inconnu, aujourd’hui le corps est hors de lui-même. Dans « / », il est le plus souvent noyé dans l’épure d’un fond monochrome. Or, sa présence semble ambigüe : il est bel et bien là mais il ne sait plus qui il est. Pour preuve de ce nouveau corps amnésique, le visage n’y est plus l’antre de l’altérité. Il est cagoulé, masqué, transpercé, excroissant, effacé, dédoublé, coupé en deux. Les yeux y sont fermés, cachés, mécanisés… Même les gueules des bêtes n’échappent pas à cette indécision, à cette identité troublée : des chiffres y sont découpés, elles sont laissées hors-cadre, etc. Ce travail de représentation sur le corps en dit long sur l’oppression existentielle que chaque individu est amené à subir dans notre monde.
Dans son « Autoportrait n°5 », par le feu, le corps d’Ibrahim Màtouss émerge de la plaque en bois (support de l’oeuvre). Ce corps tellurique est troué, strié, éventré. En réalité, le contre-plaqué décollé laisse apparaître ses boyaux : les déchets de bois qui le constituent. Le corps est la forme.
La forme est le corps. L’un ne se distingue plus de l’autre. L’on ne sait pas si c’est un cancer qui ronge la peau ou les traces d’arbres déracinés. D’un même geste, Màtouss radicalise et interroge son esthétique en la mettant à nu en même temps que son propre corps. Nudité totale qui troue la surface de la chair et de la peinture.
C’est la forme qui créé le sens. La forme est le corps d’une oeuvre d’art, elle est ses membres et ses organes. A travers elle, l’artiste parle sa langue. Les traits de Nidhal Chamekh, les volumes d’Ymène Chetouane, les images numériques et virtuelles de Belhassan Chtioui, les numéros allumés de Malek Gnaoui sont autant de formes qui disent le corps et son exil.

Ismaël