Chbabek wa3teb

12 . 2013

Aïcha Filali

Procédure de mise à plat de la société tunisienne

1. Collecter des photographies de mariage, posées, de gens ordinaires, anonymes, qui datent de cinq, dix, quinze, voire vingt ans ; certains des personnages sont certainement grands-parents maintenant.

2. « Nettoyer » les photographies anciennes tirées sur papier à l’aide de l’outil informatique.

3. Photographier portes, fenêtres et façades de quartiers moyens, susceptibles d’abriter les couples retenus.

4. Isoler les personnages de leur cadre original, et les placer dans l’univers urbain photographié, en jouant la vraisemblance entre le couple « placé » et la façade choisie.

5. Affubler tous les personnages de toutes les photographies de lunettes opaques, glanées çà et là sur le web, dans un double objectif : préserver l’anonymat des personnes reproduites, et faire un clin d’œil aux publicités diffusées en Arabie saoudite qui généralisent le port de lunettes, afin de contourner l’interdit de représenter la figure humaine : sans les yeux , la figure n’est pas « humaine».

6. Imprimer les photographies ainsi montées, sur tissu, aussi grand que le permet la laize de la machine ; le tissu venant ici évoquer l’univers du trousseau de mariage.

7. Renforcer cet univers du trousseau en matelassant les images en tissu à la manière des couettes, couvre-lits et autres édredons qui ont allégrement supplanté la couverture en laine traditionnelle dans l’univers domestique.

8. Entourer chacune des images en tissu d’un cadre de satin matelassé, couleur pastel, très usité dans l’univers de la literie.

9. Casser ou tordre quelques dizaines d’aiguilles de machine dans la traversée mécanique des pièces.

10. Renforcer le cadre avec différentes sortes de tresses, galons et autres passementeries, toutes les unes plus chargées que les autres.

11. Attraper des fourmillements permanents dans la main à force de longues soirées de couture dans toutes sortes de tissus, souvent impropres aux travaux d’aiguille et difficilement pénétrables.

12. Appliquer sur l’image même des éléments rapportés en trois dimensions, tels que fleurs en tissu, cravates, faux bijoux, là où ils figurent en deux dimensions ; avec parfois en bonus oiseau, colombes, fer à cheval ou queue de poisson afin d’éloigner le mauvais œil.

13. Harceler son entourage immédiat quant au choix des galons, cravates et autres éléments ornementaux.

14. Prendre un très grand plaisir à tout cela, tant dans l’idée, que dans la mise en forme pleine de ressources imprévisibles.

Aïcha Filali

Radès 2012-2013

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